Quelques recommandations de livres sur les féminismes noirs
- Eva Romano
- 25 janv.
- 5 min de lecture
La Star Academy, émission culte des années 2000 à fait son grand retour sur nos écrans avec le lancement de la saison 12 en octobre 2024. Les 15 académiciens se retrouvent de ce fait sous le feu des projecteurs, et donc aux possibles critiques des téléspectateurs.
Une académicienne en particulier, Ebony, âgée de 20 ans, est source de nombreuses discordes. En effet, certains membres de sa “team” la défend corps et âme sur les réseaux sociaux en mettant en avant son talent indéniable, contre ceux qui la dénigrent, estimant qu’elle n’aurait pas sa place dans l’émission encore moins en finale.
Nous pourrions nous dire que les élèves de la Star Academy devraient être habitués à ne pas plaire à tout le monde, que ce ne sont que des préférences musicales et artistiques, le but d’une émission de télévision en quelque sorte. Néanmoins, la tournure que prennent les discussions sur la jeune Ebony ressemblent de plus en plus à une vague de haine, sur fond de racisme et de misogynie.
Marie-France Malonga, sociologue des médias estima ainsi dans un article de Médiapart que “ si elle est aussi maltraité, c’est qu’elle est à la frontière de plusieurs identités : jeune, femme et noire. C’est le principe même du misogynoir. Comme si on se permettait d’aller plus loin dans la haine à cause de cette addition d’identités. C’est la même chose que subit Aya Nakamura. Tout est occasion pour déverser sa haine, et quoi qu’elle fasse, elle fera l’objet de rejet, elle sera un punching-ball numérique”.
À l’aune de ces discussions, il parait important de déconstruire un récit hégémonique, celui d’un féminisme majoritaire qui, par défaut, penserait “LA femme” comme une femme... blanche. C’est le principe de l’universel, qui souvent prend la partie pour le tout par facilité, par paresse et parfois par choix politique. Mais qui, d’abord, perpétue l’image du modèle dominant.
C’est ici toute l’idée des féminismes noirs, qui font écho au Black Feminism apparu dans les années 60 aux États-Unis.
Cet article contient quelques recommandations de livres sur les féminismes noirs. Il consiste en une illustration de la complexité des relations entre genre et race.
Chimamanda Ngozi Adichie - Nous sommes tous des féministes.
Nous sommes tous des féministes est la version modifiée d’une conférence TEDX que Chimamanda Ngozi Adichie a donnée en 2012. Elle détaille ensuite plusieurs expériences, plusieurs moments de sa vie - que ce soit aux États-Unis ou au Nigéria, où on a tenté à nombreuses reprises de lui expliquer qu’être féministe ce n’est pas quelque chose de valorisant, bien au contraire. Grâce à son sens de la répartie très développé et pour répondre à ses détracteurs, elle a fini par affirmer qu’elle était « une féministe africaine heureuse qui ne déteste pas les hommes ». Le mot féministe vu comme un gros mot, c’est un classique.
C’est en explorant toutes les inégalités liées au genre que Chimamanda Ngozi Adichie enrichit son propos, elle parle de l’éducation différenciée entre les petites filles et les petits garçons qui est source de stéréotypes, des discriminations que subissent les femmes, de la culpabilisation systémique de celles-ci au travers de la culture du viol.
Cet essai est une excellente première approche sur le concept de féminisme.
Paru chez Folio : 3 €
bell hooks - Ne suis-je pas une femme ? Femmes noires et féminisme.
Pionnière du concept d’intersectionnalité (imaginé par Kimberlé Crenshaw en 1991, il s’agit de reconnaître l’expérience des personnes qui cumulent plusieurs discriminations, subissent par exemple le sexisme et le racisme), bell hooks (son nom de plume, sans majuscules, pour souligner le fait que ses écrits sont plus importants que sa personne) est l’une des représentantes les plus prolifiques de l’afroféministe, qui s’est développé en France ces dernières années. Elle est l’auteure d’une trentaine d’essais sur l’éducation, les conditions des femmes noires, les masculinités noires ou encore l’art et le féminisme.
Avec Ne suis-je pas une femme ?, titre emprunté au discours éponyme de Sojourner Truth prononcé en 1851, l’intellectuelle pose les bases de l’afro féminisme en revenant, textes historiques à l’appui, sur l’expérience des femmes noires depuis l’esclavage, les mythes créés à cette période, et sciemment perpétrés de générations en générations par les classes dominantes, la façon dont le mouvement féminisme s’est construit, en marginalisant les femmes noires tandis que les leaders des mouvements pour les droits des noirs les excluaient aussi pour mettre en avant leurs qualités de patriarches face aux hommes blancs.
Comment alors, réconcilier les femmes noires avec un féminisme qui les a si longtemps dénigrées ? En les écoutant, en acceptant la responsabilité du féminisme blanc et raciste dans la trajectoire complexe des afroféministes, en ne mettant pas de côté leurs revendications. Et en mettant à jour, plus que jamais, les liens entre patriarcat, capitalisme, exploitation des femmes racisées et pauvres.
Paru aux éditions Cambourakis : 13,50 €
Awa Thiam - La parole aux négresses.
L’anthropologue sénégalaise Awa Thiam est la première féministe à formuler, quelques années avant bell hooks, la question du positionnement des femmes noires dans le mouvement féministe, jetant ainsi les bases théoriques de l’intersectionnalité.
Dans ce manifeste fondateur du féminisme noir francophone paru en 1978, Awa Thiam rompt le silence des femmes africaines et redimensionne les contours d’un féminisme jusqu’alors considéré comme essentiellement occidental. Pour elle, le féminisme doit tenir compte de la “triple oppression” des femmes noires ( de genre, de classe, de race ) et des problèmes spécifiques de ces dernières.
En effet, à travers les “mots” de femmes originaires de la Guinée, du Sénégal, du Nigéria ou encore du Mali, Awa Thiam brise le tabou en dénonçant leurs “maux” : pratiques traditionnelles de la polygamie, de la dot, des mutilations génitales, blanchiment de la peau.
Enfin, la dernière partie du livre se veut un appel à l’action, voire à la révolution : “ La solution du problème des femmes sera collective et internationale. Le changement de leur statut sera à ce prix ou ne sera pas “
Paru aux éditions divergences : 16 €
Fania Noël - Et maintenant le pouvoir : un horizon politique afroféministe.
Dans ce livre, Fania Noël pose la question de l'afro féminisme en adoptant un point de vue révolutionnaire.
En effet, bien que l'afro féminisme contemporain soit analysé et commenté par les milieux universitaires et médiatiques, les ouvrages issus d’une démarche militante réflexive traitant de la politisation et de la condition des femmes Noires sont plus que rares en France. Ce livre veut donner corps à une analyse militante contemporaine et porte sur les espaces où s’exercent la domination et la violence.
Dans un style alerte et offensif, déployant le corpus théorique des féminismes Noirs, s’appuyant sur des analyses du traitement médiatique de certains faits divers ou puisant ses exemples dans la pop culture, l'auteure aborde des thématiques parmi lesquelles la famille, la représentation, la misogynoir, le néolibéralisme ou encore la fin du monde.
Paru aux éditions Cambourakis : 10 €
Marième N’DOYE
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